Plaidoyer pour une implication massive du secteur privé sénégalais dans l’agriculture

Crédit photo : Xaume Olleros / RTI

Une économie encore dominée par le secteur tertiaire

Ces six dernières années, le Sénégal, à l’instar de plusieurs pays africains a connu une croissance économique soutenue de 6%. Cependant, elle ne va pas avec une distribution égalitaire des richesses créées. En effet, la dernière enquête de la banque mondiale, qui remonte à 2011, évaluait à 47 % le taux de pauvreté. Avec un chiffre d’affaires de 11 349,7 milliards de FCFA en 2016 (ANSD), le secteur tertiaire pèse très lourd sur l’économie sénégalaise. Ce qui a pour conséquence, une prédominance insoutenable de ce dernier par rapport aux autres secteurs primaire et secondaire. Réorienter la trajectoire sectorielle serait peut-être la solution. Et cela, les politiques l’ont apparemment compris. En effet, le secteur primaire, notamment l’agriculture est au cœur de toutes (ou presque) les stratégies de développement. Il se pose alors la question de l’implication massive de la population et du secteur privé pour la concrétisation de cette volonté politique. Apporter une réponse à cette dernière reste un véritable défi, car les sénégalais ne sont pas friands des investissements à risque, même “calculé”.

Pourquoi le secteur privé national n’investit que dans des secteurs qui rapportent dans l’immédiat ?

Ils jouent la carte de la sécurité. Après tout, qui pourrait leur en vouloir ?Tout le monde se plaint lorsqu’une denrée vient à manquer mais combien pensent à investir dans le sens de pallier un tel désagrément ? La filière oignon, par exemple, connaît de temps à autre des problèmes quant à l’offre, ce qui peut consécutivement induire une hausse des prix. Ainsi, les ménages en subissent les conséquences. Mais combien verront en ce déficit du marché une réelle opportunité d’investissement ? Ils ne disposent pas d’assez de moyens diront certains et d’autres diront que leur priorité se trouve ailleurs. Aux plus démunis, l’on pourrait concéder ceci. Mais qu’en est-il de ceux qui préfèrent se lancer dans l’immobilier ou le commerce ? Il faut mettre en avant le patriotisme, le sens du devoir envers la nation, se poser les questions suivantes : que pourrais-je apporter à mon environnement immédiat ou même pour les plus ambitieux, à mon pays ? Si j’investis dans l’immobilier à qui est-ce que cela profitera le plus ? Par ailleurs, même si vous n’êtes pas expérimentés, cela ne doit pas vous empêcher de vous lancer dans l’agriculture en vous entourant des bonnes personnes. Et que le but soit de gagner de l’argent, bien sûr, mais aussi de créer des emplois et de permettre à des chefs de ménage de pouvoir subvenir aux besoins de leur famille.

Le nombre d’actifs dans le secteur agricole ne reflète aucunement son poids dans l’économie du pays

KOLDA - SENEGAL:  Mamadou Dian Diallo propriétaire de 55 hectares au champ de multiplication semence Sahel 328 Crédit Photo : Xaume Olleros / RTI
Photo Crédit : Xaume Olleros / RTI

Le nombre d’actifs dans le secteur ne reflète aucunement son poids dans l’économie du pays. Ce genre de paradoxe s’observe malheureusement dans nos pays. Au Sénégal, plus de la moitié de la population active (60%) est dans le secteur agricole. Si nous faisons la comparaison avec des pays comme le Brésil, pays peuplé d’environ deux cent dix millions d’habitants, dont les producteurs agricoles ne représentent  [1] [2] que 19%[3]  de la population active, nous réalisons qu’ils sont très en avance. L’agriculture familiale au Sénégal est menée par la frange la plus démunie de la population. Ce qui contraste avec les ambitions d’émergence que manifestent nos Etats. Puisque le secteur agricole constitue pour ceux-ci une rampe de lancement pour se hisser sur le tréteau du développement.

Lire aussi : La balle dans le camp du secteur privé sénégalais

Être ouvert aux investisseurs étrangers sans léser les petits producteurs

De plus en plus de personnes « retournent à la terre ». C’est le constat que nous avons fait ces dernières années. Ce qui n’est pas mauvais en soi. Mais la recherche du profit, sans penser éventuellement à être utile à la communauté à travers ce « maigre » apport, reste le fléau qui gangrène le secteur. L’avènement d’un nouveau type d’agriculteur, qui n’hésite pas à accaparer des terres, fait office de cerise sur le cadeau (gâteau) empoisonné. Alors une protection infaillible est nécessaire pour que les petits producteurs puissent bénéficier des mêmes avantages que n’importe quels investisseurs, étrangers y compris. A l’instar de ce qui se fait dans les pays développés ou émergents, le protectionnisme, modéré bien entendu, est capital. C’est-à-dire que l’on soit ouvert aux investissements étrangers mais que l’on n’en arrive pas à léser les paysans. Au contraire, ces derniers doivent être servis avant qui que ce soit.

Les risques agricoles ont pendant longtemps repoussé le secteur privé

Une meilleure connaissance de la finance et du cadre macroéconomique qui régissent le climat des affaires au Sénégal pourrait résorber la peur de la prise de risque. Dans le secteur agricole, les risques ont pendant longtemps repoussé les quelques investisseurs. Pourtant, depuis 2008, l’Etat du Sénégal a institué l’assurance agricole. La Compagnie Nationale d’Assurance Agricole du Sénégal (CNAAS) est la structure dédiée. Sa mise en place constitue un élan incitatif qui mérite une vulgarisation plus importante afin que le secteur privé, encore indécis, soit au fait de son existence.

L’économie ne doit plus être la chasse gardée des seuls initiés ou experts. L’éducation financière doit être une priorité pour l’Etat sénégalais. Ceci, afin de permettre à la population d’avoir un aperçu sur les rouages de l’économie. Il faut une compréhension plus pointue du fonctionnement de la finance et le rôle qu’elle joue dans le contexte actuel. Cette éducation suscitera surtout chez les personnes à capacité de financement une volonté d’investir dans le secteur agricole.

Pour inciter encore plus le secteur privé à investir dans l’agriculture, le financement de la recherche est crucial. L’Etat, à travers les instituts de recherche, a certes fait des efforts. Mais y a-t-il des initiatives privées dans ce sens ? La découverte de nouvelles technologies est à la portée des pays les plus enclins à dépenser dans la recherche. La technologie est au cœur de tout processus de développement. Alors apprenons aux potentiels investisseurs nationaux les urgences du moment. Essayons de regrouper les détenteurs de moyens financiers sur une plateforme pour discuter des priorités. Ils y trouveront leur compte et la situation économique du Sénégal connaîtra un boom sans précédent.

Par Aboubacar Diallo, agroéconomiste

sunumbay