Crédit : A. Diop, quelque part dans les Niayes
La lecture croisée des différents programmes m’a pris
plus de temps. L’agriculture a ce caractère transversal, ce qui fait que dans l’analyse
du volet agricole, il est besoin de faire cette lecture diagonale des autres
sous-secteurs. Certains programmes sont plus aboutis que d’autres, plus de
chiffres et touchant presque tous les leviers pour développer notre agriculture.
L’idée n’est pas de dire le meilleur programme. Je vois des combinaisons
possibles qu’ils seraient intéressants de creuser davantage. Le programme de
#Idy2019[1]
semblent plus détaillé suivi des programmes de #Sonko2019[2] et
#Macky2019[3].
Les programmes de #Issa2019 [4]et #Madické2019[5]
présentent les différents axes sans pour autant rentrer dans le détail des
stratégies. Lecture donc parallèle des différents programmes et les
propositions des candidats suivant les maillons de la chaîne de valeur agricole.
Une brève introduction donne une idée de la situation dans chaque volet et les
propositions des différents candidats. Il est difficile à ce stade d’aller en
profondeur dans les analyses puisqu’à l’issue de #sunu2019, où un programme
dédié à l’agriculture sera surement élaboré. Je n’aborde ici que quelques
aspects du programme agricole des candidats.
Les intrants avant tout
Parlons d’abord des intrants, ils sont évoqués dans les programmes de #Idy2019 et #Sonko2019. Le premier évoque la création de banques de semences certifiées et la mise en place de 6 unités de fabrication d’engrais pour « chaque type de sol ». #Sonko2019 propose une réorientation et une révision du mode de gouvernance des subventions agricoles. Cette mesure a d’ailleurs été fortement recommandée par l’étude de IPAR [1] dont les conclusions ont permis de noter un faible impact sur la productivité et la compétitivité dans les exploitations agricoles. Cette subvention est encore largement destinée aux cultures commerciales avec l’arachide qui absorbe 50% du montant des subventions.
Pour rappel, suite aux difficultés financières des ICS, depuis 2006, les importations se sont substituées
à la fabrication locale d’engrais pour plus de la moitié du marché de l’État (Kelly et al. 2011). Je suis curieux de
connaître les schémas qui seront mis en place pour booster cette demande en
engrais destinés aux petits exploitants agricoles et dont les prix restent la
principale barrière. Certaines mesures pouvant avoir des effets sur les prix
des intrants sont inscrites dans les programmes de #Sonko2019 et #Idy2019 qui
prévoit une exonération sur les intrants et les matériels d’exploitation pour
le premier et une diminution de la taxe appliquée sur le matériel agricole et
les pesticides pour le second. Reste à savoir comment ces mesures seront
combinées avec la subvention sur les intrants (50%) et sur le matériel (60%)
déjà en cours.
Il faut avouer que le marché des engrais au Sénégal reste
encore réduit aux productions industrielles : coton, canne à sucre, horticulture
et dans une moindre mesure le riz. La consommation moyenne d’engrais étant de
28kg/ha au niveau national[1]. Sur la situation du
Sénégal, la consommation en engrais par hectare est encore bien en deçà de
celle des pays de la sous-région dont le Mali et la Côte d’Ivoire. Je vois également que les programmes n’ont pas mis en
exergue la nouvelle donne à savoir la découverte du gaz qui est un
« intrant » de taille dans la production d’engrais notamment de
l’urée dont le Sénégal est totalement dépendant.
Dans le programme #IDY2019, les chiffres avancés avec la mise en place de 6 unités de fabrication d’engrais m’ont fait tilt. Je voudrais bien connaître l’origine de ces 715.119 tonnes. Est-ce prévu pour les 5 ans ? Qu’en sera-t-il des perspectives avec les Industries Chimiques du Sénégal (ICS), même si dans le programme l’on évoque la résorption de la crise des ICS ? Si ce n’est pour l’exportation, je ne sais pas comment le marché national va absorber ces 715 119 tonnes d’engrais. Pour rappel, en 2006, les besoins totaux d’engrais étaient estimés à 31 500 tonnes de NPK et à 12 000 tonnes d’urée. En 2018, cette consommation d’engrais tournerait autour de 120 000 tonnes.
Revoir la subvention des intrants
Par ailleurs, la question de la gouvernance de ces subventions est plus qu’une urgence. Le ciblage des bénéficiaires, la transparence dans les appels d’offres et l’obligation de résultat doivent prévaloir. Sur ce point, la mesure de #Sonko2019 visant à mettre en place les crédits de campagne n’est pas nouvelle même si cette mesure avait permis de booster la consommation en engrais. Il faut savoir que la période de début de campagne hivernale coïncide avec la prolongation de la soudure. L’engrais, même subventionné à 50% peut s’avérer inaccessible pour la majorité des agriculteurs et arrive souvent en retard. Seulement, une augmentation de la consommation en engrais aurait un effet induit réduit sur la fertilité des sols si le niveau de dégradation [1]de ces sols n’est pas réduit. Ce qu’il faut savoir, pauvres en matière organique, l’application d’engrais n’aura pas tous les effets escomptés. Cette question de la restauration de la fertilité des sols est abordée dans le programme de #Idy2019. Cette restauration se ferait notamment avec une plus grande importance accordée à l’agroforesterie et l’utilisation de fertilisants bio-organiques. Tout de même, ceci sembler contraster avec l’importance accordée à la fabrication d’engrais chimiques. Ou, va-t-on vers une coexistence de l’agriculture conventionnelle avec l’agroécologie ? Quels mécanismes de compensation pour les producteurs en agriculture biologique ? On peut s’attendre à une plus grande intégration foresterie et agriculture en lisant également les programmes #Macky2019, #Sonko2019 et #Issa2019
Où sont nos 10% ?
Tous
les candidats ont réaffirmé leur soutien à l’agriculture. Dans les différents
programmes, les candidats s’engagent à respecter les recommandations de Maputo[1].
Cette recommandation suggère aux états de consacrer 10% du budget total à
l’agriculture. Cette mesure est déjà respectée par le Sénégal depuis des
années. Entre 2012 et 2016, le ratio des dépenses allouées à l’agriculture sur
le budget total a atteint son maximum en 2014 (12,06%), coïncidant avec la
phase de mise en œuvre du PRACAS, pour retomber à 10,6% en 2016. Se pose
toujours, cependant, la question de la dépendance aux financements externes et
la faiblesse des fonds alloués à la recherche et à la vulgarisation. Ce sont
deux défis majeurs soulevés dans les programmes de #Issa2019, #Idy2019 et
#Sonko2019. #Idy2019 et #Sonko2019 propose une fusion des structures d’encadrement
et le renforcement des fonds dédiés à la recherche tandis que #Issa2019 met l’accent
sur la nécessité d’une meilleure articulation entre recherche, université et
secteur privé. La mesure de rationalisation des structures d’encadrement dans
le secteur agricole serait plus que salutaire et devrait permettre une gestion
parcimonieuse des financements dédiés à l’agriculture.
La maîtrise de l’eau dans les priorités des candidats
Notre agriculture a véritablement besoin d’une transformation structurelle. Elle ne peut plus reposer sur une activité à temps partiel, entièrement dévolue à 3 mois de l’année. Cette structure actuelle de l’agriculture ne pourra jamais propulser les agriculteurs qui devront se résoudre à s’activer uniquement 3 mois sur 12 avec des cultures qui assurent la disponibilité en denrées de subsistance mais souvent avec une faible marge dégagée. Même-si c’est plutôt l’autoconsommation qui est visée en priorité. D’après les données de l’ANSD [1]de 2013, la quasi-totalité des ménages agricoles (87,1%) pratiquent l’agriculture pluviale et seulement 6,3% se consacrent à l’agriculture irriguée. La maitrise de l’eau est ainsi revenue dans tous les programmes comme une priorité. Dans les différentes mesures qui offrent une meilleure lisibilité sur les stratégies, il y a la réalisation du Canal du Cayor, du Canal du Baol et la relance du projet de revitalisation des vallées fossiles proposés par #Sonko2019. #Idy2019 souhaite implanter un programme de maîtrise de l’eau à travers les bassins de rétention et les lacs artificiels. #Macky2019 semble aller vers la continuité notamment dans la petite irrigation dont les investissements ont connu une forte augmentation ces dernières années. En effet, l’analyse des dépenses publiques dans la période 2010-2015 a permis de noter une hausse dans les fonds consacrés à la petite irrigation notamment dans le cadre de l’autosuffisance en riz et le développement des filières horticoles. Tout de même, les coûts liés à l’aménagement et à l’accès à l’eau d’irrigation restent hors de portée de la majorité des agriculteurs.
Agro-business ou Exploitation familiale, quel choix ?
Il n’existe pas de parti pris entre les exploitations agricoles familiales et l’agro-business. Les programmes s’accordent plutôt à appuyer d’avantage l’agriculture familiale tout en promouvant l’implantation de fermes intégrées (#Issa2019 et #Idy2019), d’agropole (Macky2019) ou de grandes fermes pouvant servir de laboratoire (#Sonko2019) pour inciter le secteur privé. La lecture des programmes de certains candidats sur ce volet donne l’impression que les stratégies seraient développées ex-nihilo sans prise en compte des avancées ou des structures qui remplissent déjà les mêmes rôles. Quels changements sont attendus avec l’implantation de ces fermes et qu’est-ce qui, dans leur schéma organisationnel et la place du secteur privé les distinguent des domaines agricoles communautaires (DAC) ou les fermes Natangue (ANIDA) ?
La diversification du portefeuille des produits agricoles en perspective
Avec
une exposition de notre agriculture face à la variabilité climatique, la
diversification du portefeuille des produits agricoles est au menu de tous les
programmes. Cette dépendance induit une très forte volatilité de la croissance
agricole. Ces dernières années, une plus grande importance est accordée aux
filières horticoles d’exportation (mangues, haricots verts etc) et de grande
consommation (oignon, pomme de terre etc). Les mécanismes comprenant les
subventions, l’appui à la petite irrigation et la suspension des importations
ont permis d’obtenir des résultats remarquables[1]. Des défis majeurs existent notamment dans la
réduction des pertes post-récolte notamment par le développent de
l’agroalimentaire. Les données obtenues avec le recensement des entreprises en
2017[2], confirme un faible développement des entreprises
dans l’agroalimentaire qui ne représentent que 3,7% des entreprises totales. Ce
sont majoritairement de de petites entreprises (96,9%) réalisant un chiffre
d’affaires entre 100 et 500 millions. Il faut souligner également le fait qu’au
Sénégal, 3 à 5% seulement des fruits et légumes sont transformés. Comment faire
donc du secteur de l’agroalimentaire la machine qui pourra absorber les 269 000
jeunes qui arrivent chaque année sur le marché de l’emploi et dont les 56%
proviennent du milieu rural ? Les productions record obtenus dans les 5
dernières années ont été plus le fait d’une augmentation sensible des intrants
utilisés par hectare que d’un gain de compétitivité et d’amélioration des
compétences. Ce qui fait que l’effet d’entrainement sur la création d’emploi a
été moindre[3]. Une stratégie de montée en compétence des
agriculteurs est plus qu’une urgence. Cette stratégie doit notamment permettre
un renforcement des services de vulgarisation encore en faible nombre (3659[1]
au total) pour 755 532 ménages agricoles.
[1] http://www.fao.org/3/a-ap795e.pdf
Sur ce
plan, commençons d’abord avec les propositions de #Macky2019 qui consacre ce
volet à l’érection de 3 agropoles[1]
avec une intégration des petites et moyennes industries et la mise en place des
parcs industriels. Les agropoles avaient été cependant critiqués par certaines
ONG[2]
qui soulignaient quelques effets pervers que leur implantation poserait. Pour
ma part, même si je ne partage pas toutes les critiques, l’efficacité de ces
agropoles pourrait être remise en cause par la différence criarde entre le
niveau de développement de nos petites et moyennes industries et le paquet
technologique avancé au niveau des agropoles. Une articulation avec le bureau
de mise à niveau pourrait dans ce cas rendre plus efficient ces agropoles. Sur
ce volet, les autres programmes n’ont pas présenté de grandes nouveautés. Les
programmes tournent autour du renforcement de capacité des PME/PMI et le
financement mais avec une grande importance notée à l’émergence de champions
nationaux.
Dans ce contexte de changement climatique et d’appel à la transition agro-écologique
L’enchevêtrement
entre les secteurs peut rendre caduque cette analyse du seul secteur de l’agriculture.
Car l’on ne peut parler d’agriculture sans parler de gouvernance, de
financement, des institutions de mise en œuvre, des industries, du commerce, de
la santé, d’écologie. Le futur gouvernement devra s’atteler d’ailleurs à
imprimer une vision holistique au secteur agricole. L’agriculture familiale
devra notamment se réinventer dans ce contexte marqué par les changements
climatiques. À ce propos, les propositions des candidats semblent être vagues
pour le moment alors que le profil pluviométrique de l’année 2018 a inquiété
les acteurs du monde rural au point d’amener le gouvernement à dégager 7
milliards en guise de fonds de résilience. La transition agro-écologique et
l’agroforesterie sont ainsi évoquées dans les programmes de quatre des cinq
candidats sans pour autant édifier sur les moyens qui seront entrepris ainsi
que l’implication des populations locales, qui sont les principaux acteurs de
l’économie forestière. Mais, quelles politiques de résilience[1] ?
Les agriculteurs pourront-ils encore continuer à se consacrer à la production
agricole en dégageant de faibles profits (coûts de production et prix des
produits agricoles) ? Qu’est-ce qui sera fait en terme de gouvernance des
filières agricoles ? Quelle articulation entre notre politique agricole et
le marché mondial ? J’avoue que je n’ai pas retrouvé de mesures
spécifiques pour cette dernière question encore moins sur l’articulation qui
sera faite entre l’agriculture et la nutrition. Je ressors ainsi de cette
lecture croisée avec beaucoup de questions tout en ayant hâte de lire le
programme du futur gouvernement et plus spécifiquement sur le volet agricole.
[1] http://business221.com/pour-sauver-la-campagne-agricole-une-enveloppe-de-7-milliards-f-cfa-decaissee/
[1] https://www.afrik.com/les-agropoles-une-panacee-pour-l-agriculture-africaine
[2] https://www.jeuneafrique.com/445942/economie/trois-ong-denoncent-solution-miracle-agropoles-reduire-linsecurite-alimentaire-afrique/
[1] http://www.maer.gouv.sn/
[2] http://www.ansd.sn/ressources/rapports/Rapport%20global-05-07-2017.pdf
[3] https://www.tralac.org/news/article/12943-senegal-economic-update-recent-growth-drivers-and-the-role-of-agriculture-in-developing-a-resilient-and-inclusive-economy.html
[1] http://www.ansd.sn/ressources/rapports/Rapport-definitif-RGPHAE2013.pdf
[1] http://www.focusonland.com/download/51fb7120557dd/
[1] http://www.rewmi.com/degradation-sols-senegal-2-400-000-ha-affectes-fleau.html
[1] https://www.ipar.sn/IMG/pdf/ipar-rapport_agriculture-2015-_p_p_.pdf
[1] https://www.ipar.sn/IMG/pdf/ipar-rapport_agriculture-2015-_p_p_.pdf
[1] https://senegal2019.org/candidats/idrissa-seck/
[2] https://senegal2019.org/candidats/ousmane-sonko/
[3] https://senegal2019.org/candidats/macky-sall/
[4] https://senegal2019.org/candidats/issa-sall/
[5] https://senegal2019.org/candidats/madicke-niang/
Merci pour cette analyse approfondie. La conclusion qui en ressort pour moi est le manque d’identification d’actions claires à mettre en œuvre pour améliorer ce secteur. De le recherche à la consommation, je trouve qu’il nous reste encore du travail à faire pour amener les politiques à y voir plus claire.
Absolument. Reste maintenant à mettre un contenu clair à toutes ces politiques.